Qui se souviendra d’Albert Parissot ...
...de Marcel Baudot,
Aston Knight,
Georges Grey Barnard,
Charles Etienne Martin,
Jules Prior,
Charles Guillaume le Prévost,
Isabelle de Pomereuil,
Roger de Beaumont,
et ...quelques autres ?
Cette petite fille peut-être, qui aimait tant se promener dans les forêts de son village natal ...


... et qui, devenue adulte, n’habitant plus ce village, se souvenait assez de ce bonheur ancien pour organiser un pique-nique dans ce qui fut le théâtre de verdure de son si cher parc Parissot...


... lisant aux invités de son 57° anniversaire le texte de ce premier site internet...


... créé en 2004, grâce à l'assistance technique de Daniel Hervé, habitant de Beaumontel, animé comme elle du désir de secouer les édiles locaux négligeant ce parc et la mémoire de son généreux donateur Albert Parissot :


Ne serait-il plus qu’un nom sur quelques plaques de rues, un buste devant la gare de Beaumont-le-Roger…


… un monument funéraire au cimetière du Père Lachaise


NON !

Il méritait mieux. Car si son corps fut porté en cette terre parisienne, où il naquit et mourut, son cœur resta dans l’Eure, où il passa une grande partie de sa vie. Et je n’use pas, disant cela, d’un cliché, car ce muscle vital, censé être le siège de nos plus vives émotions, fut, selon son souhait, mis dans un petit coffre, pour être enfoui dans le sol de son parc, sous un obélisque :


Enfant, je savais cela, et faisais toujours silence en passant auprès de cet obélisque, qui demeure encore un but de promenade…


… où je me rends seule, ou entraîne des amis, persévérant dans les pique-nique à l’ancien théâtre de verdure, qui a bien vieilli depuis mon enfance, car ses colonnes se sont effondrées, qui soutenaient les croisillons surmontant la scène bucolique…


… disparues également les barrières blanches ouvrant sur son cercle parfait :


Dix années se sont écoulées depuis la création de ce site – qui a certes rempli sa mission car il a essaimé, n’étant plus le seul à évoquer Albert Parissot – et il me paraît judicieux d’en présenter une version rénovée, Daniel Hervé ayant bien voulu passer sa main de web-master initial à Michel Hubin (qui gère déjà mes trois autres sites).
L’histoire d’Albert Parissot commence comme dans le jeu des sept familles : dans la lignée des ascendants, je tire la carte de l’aïeul, Pierre Parissot (1790-1860) qui fonda, en 1824, le premier de ces grands magasins parisiens, dont Emile Zola s’inspirerait pour écrire Au bonheur des dames, et dont Honoré de Balzac assura, avant l’heure, la publicité dans son Petit dictionnaire critique et anecdotique des enseignes de Paris par un batteur de pavé, paru en 1826 :

A la Belle Jardinière
Parissot, marchand de nouveautés, rue de la lanterne, actuellement partie nord de la rue de la cité. Au milieu d’un jardin bien lisse, une jardinière, dont le teint est aussi blanc que celui d’une petite maîtresse de la chaussée d’Antin, tient à la main un arrosoir, des fleurs, des arbres couverts de fruits formant un tableau qui ne fait pas moins d’honneur à l’artiste qui l’a peint, qu’à Pierre Parissot qui en a conçu l’ingénieuse idée. C’est vraiment un homme d’esprit que Pierre Parissot ; placé naguère à l’entrée du faubourg Saint Antoine, il avait pris La Belle Fermière pour enseigne ; aussi avait-il peine à fournir toutes les demandes ; les fermières de Saint Maur et des environs assiégeaient les comptoirs.
Je n’ai pas trouvé trace de cette première enseigne. Mais voici quelques affiches ultérieures, de différentes époques, dont l’une me semble être d’Alfons Mucha (1860-1939)

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Cette Belle Jardinière avait non seulement changé de nom (la Belle fermière ayant été mise en faillite en 1821) mais aussi, plusieurs fois, d’adresse. Vint l’ère des cartes postales…

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… puis de la fermeture définitive, en … 1972 (l’immeuble devenant l’enseigne Conforama). Mais un tel établissement pionnier (car il fut le premier à proposer de la « confection », sur le modèle anglais) valait bien un livre. Il fut de François Faraut, publié en 1987. J’écrivis à l’auteur en 1990, dans un moment où j’avais le projet d’un film à tourner au parc Parissot, car j’imaginais qu’il en savait plus que moi sur le personnage qui m’intéressait. J’ai évidemment gardé sa réponse :

Madame,
C’est avec un grand retard que je réponds à votre lettre du 1er juin me demandant si je disposais de quelques informations sur Albert Parissot, seulement c’est vous qui m’apprenez tout.
En effet j’ai travaillé quasi exclusivement sur les archives de l’entreprise, sans chercher ailleurs les renseignements qui ne s’y trouvent pas dès lors que l’entreprise n’était plus directement concernée. Pourtant ce que vous indiquez sur Albert Parissot en dit sans doute long sur l’importance des revenus qu’ont touchés les héritiers Parissot…
Acceptez donc mes excuses de vous répondre si tard, et mes regrets de ne pouvoir vous être de quelque utilité dans votre projet.
En vous souhaitant néanmoins le succès.
Avec mes salutations les meilleures

Pierre Parissot,

fils de fripier, avait assurément le sens des affaires, car, ayant connu 3 faillites entre 1821 et 1833 (dont il remboursa ultérieurement le passif !), il mourut fort riche. Ses frère (Denis Parissot)


et neveux (Adophe Parissot,

Léon Parissot,

Guillaume Parissot,

Charles Bessand
(dont je n’ai pas de portrait à fournir, les cinq précédents m’ayant été aimablement fournis par m. Christian Juin, que je remercie) lui succédèrent, avec divers associés. Albert Parissot – enfin lui - fils de Guillaume, naquit à Paris en 1845, fut élève au collège Sainte Barbe, s’inscrivit à la faculté de droit et aux Beaux-arts - où il fut l’élève d’Henri Bouchet (1834-1908) et Denis-Pierre Bergeret (1844-1910) - pour n’être finalement ni commerçant ni juriste ! C’est, en quelque sorte, l’histoire et la géographie qui décideront pour lui : en 1874 il s’installa au château de Fumechon, acquis peu après la guerre par son père (office de Maître Piel, notaire à Bernay), désireux de placer des capitaux en province (mais sans intention de s’y fixer, ayant déjà une villa à Saint-Germain-en Laye). Ce château de Fumechon fit aussi l’objet de cartes postales, avant et après transformations :

.....

J’eus quelques renseignements inédits sur la ferme de ce château, d’un autre de mes correspondants de l’année 1990 : Michel Juniau , qui m’écrivit :
Mes grands-parents étaient les fermiers de M. Parissot, à la ferme de Fumechon, qui fut construite pour eux en 1882 (…) La maison actuelle du jardinier était, avant la construction de la ferme (en partie détruite à présent) la maison des fermiers, où mes grands-parents et moi-même sommes nés car ma famille exploita le domaine de Fumechon environ 100 ans. C’est dans cette maison que l’impératrice Eugénie, sur la route de l’exil, avait trouvé refuge auprès de ma grand-mère, le temps d’effectuer des réparations à sa voiture pour gagner La Rivière Thibouville où elle passa la nuit, avant de prendre le train et le bateau pour l’Angleterre. La grande grille de la cour d’honneur du château de Fumechon provient du château des Tuileries, rachetée par M. Parissot après les incendies des Communards à Paris en 1871. Il y eut également dans le parc du château de Fumechon, jusqu’à une date récente, et toujours en provenance des Tuileries, une statue en marbre blanc, grandeur nature, représentant l’impératrice Eugénie (…)
Cette ferme a hélas disparu, y compris son pigeonnier, déjà bien en péril dans les années 60 :


J’ignore si le Parissot ayant racheté les grilles des Tuileries et la statue d’Eugénie était Guillaume ou Albert. Je pencherais plutôt pour Guillaume, car Albert, lorsqu’il commença une carrière politique, ne songeait à aucune restauration royale ou impériale puisqu’il écrivait, dès 1879 :
Toutes les lois de succession au trône, inventées par toutes ces monarchies successives, n’ont jamais rien produit de bon pour la France ; loin de nous éviter les révolutions, elles nous en préparent en créant des prétendants.
Il se déclare en effet républicain. Voici une lettre, datée de 15 août 1881, qu’il adressa aux électeurs de Beaumont-le-Roger :
Mes chers concitoyens,
L’an dernier, quand je me suis présenté à vos suffrages pour le Conseil Général, j’ai essayé de vous faire voir le côté politique de cette élection. Malheureusement le pli était pris et la grande majorité d’entre vous n’a vu là qu’une manifestation d’intérêt purement local, devant faire tout sacrifier à la personnalité du candidat. Dans ces conditions je n’ai pas été étonné de ne passer que le second.
Aujourd’hui, vous comprenez que l’élection de dimanche prochain a bien un caractère politique et que ce n’est pas seulement l’homme qu’il faut considérer mais le principe qu’il représente.
Si vous sentez qu’il est utile de conserver un gouvernement qui existe depuis 10 ans, procurant au pays l’ordre, le travail et la prospérité, alors que tout autre gouvernement est impossible, j’espère que vous soutiendrez ma candidature.
Vous me connaissez tous : j’habite parmi vous et il vous sera facile d’être souvent en communication directe avec moi. Vous pourrez ainsi me parler de vos intérêts, qui sont les miens et que je serai toujours prêt à défendre.
J’aurais voulu visiter toutes les communes mais la période électorale n’est que de 15 jours. J’ai donc été forcé de ne provoquer de réunion qu’au chef-lieu de canton ; mais n’étant plus un inconnu parmi vous, vous saurez voter dimanche en connaissance de cause et j’espère que votre verdict viendra fortifier le gouvernement républicain.
Croyez à tout mon dévouement

Et il définit ainsi la liberté (1879) :
Le mot liberté est facile à prononcer ; de la bouche des partis ennemis il faut vous en défier. Leur but est de la demander partout où elle peut produire des abus, car ils espèrent tuer la république à force de libertés. Il y a un degré où la liberté s’appelle licence, et c’est à ce degré que les ennemis de la république souhaitent la voir arriver.
En 1895, alors qu’il est maire de Thibouville et conseiller général à Beaumont, il sollicite ainsi ses électeurs pour sa candidature au Sénat (en remplacement du comte d’Osmoy, décédé) :
(…) Convaincu que la République est définitivement assise sur des bases inébranlables, je suis d’avis que l’âpreté des luttes passées doit s’adoucir sensiblement et faire place à la concentration de tous les intérêts, gravement menacés par les ennemis de tout ordre social.
Mais je pense aussi qu’il faut prendre un souci constant de l’existence souvent difficile des travailleurs, s’occuper, dans un grand esprit de solidarité, des classes souffrantes et demander, s’il en est besoin, des sacrifices raisonnés aux plus favorisés du sort.
Quant à nos intérêts particuliers (je parle surtout aux agriculteurs), mon seul titre de Président du Comice et du Syndicat agricole de Bernay vous est un sûr garant que, les ayant défendus en toute circonstances dans notre arrondissement, je ne faillirai pas à cette tâche, quand elle me sera confiée par le département tout entier. Les justes revendications de l’Agriculture, ses plaintes malheureusement trop justifiées me sont parfaitement connues. Il est presque inutile de vous dire qu’elles feront l’objet de mes constantes préoccupations
.
Voici résumée, dans « L’Almanach annuaire du Neubourg » de 1898 cette carrière politique, des origines à son élection de sénateur :
De 1870 à 1885, M. Parissot avait fait entendre, par ses brochures, par ses paroles et la bienfaisance dont il a toujours été prodigue, la parole républicaine dans le canton de Beaumont-le-Roger et dans l’arrondissement de Bernay. Tout le monde sait que cet arrondissement est entièrement bonapartiste et M. Parissot, en faisant de la propagande républicaine dans un centre réactionnaire, le fit donc tout d’abord par conviction sans jamais espérer d’en recueillir la moindre récompense. Dix fois candidat, soit comme conseiller général contre M. de Boisgelin, soit comme député contre M. Fouquet, encore député bonapartiste de l’arrondissement de Bernay, il était le porte-drapeau du parti républicain et il fut mis sans cesse en échec par ses adversaires réactionnaires.
En 1885, lors des élections au scrutin de liste, il fut porté sur la liste républicaine et fut soutenu aussi bien par les républicains de Louviers que ceux de Bernay. La liste conservatrice étant élue, il fut à nouveau battu, et, comme beaucoup de ses camarades de lutte étaient peu fortunés, sa bourse paya la large part des frais de l’élection. A ce moment, tout le parti rendait hommage au désintéressement de M. Parissot et personne ne mettait en doute la sincérité de ses idées.
Enfin, aux dernières élections au conseil général de Beaumont-le-Roger, on apprit avec plaisir que M. de Boisgelin était enfin battu et que son heureux vainqueur était M. Parissot.
Vint plus tard une élection sénatoriale dans l’Eure. M. Parissot est candidat, et comme l’arrondissement de Bernay est représenté à la Chambre par un bonapartiste, les vœux de tous se tournaient vers le conseiller général de Beaumont-le-Roger pour qu’au moins les intérêts de l’arrondissement ne fussent point délaissés auprès du Gouvernement. Il est élu !

C’était en mai 1895, et son succès fut hélas assombri, le même mois, par la mort de son père, dont il était toujours demeuré très proche, et qui avait subi, cette même année, de la main du docteur Trousseau, une délicate opération de la cataracte. Le vieillard, veuf depuis de longues années (1855 – Albert avait donc été orphelin de mère à 10 ans), était octogénaire, et le tout nouveau sénateur de 50 ans était encore célibataire (et le restera toute sa vie). Les funérailles eurent lieu à Paris. Le cortège funèbre partit sans doute de l’hôtel particulier des Parissot (construit en 1877 par l’architecte J. Février) rue de Messine…


… jusqu’à l’église Saint Philippe du Roule, où la fanfare beaumontaise « Les Echos de la Risle » rendit un hommage musical au défunt, avant qu’il ne soit emporté dans le caveau familial Parissot-Pannier du Père Lachaise (concession à perpétuité n° 79, 68° division 12 face 69-2 de la 65 )…


…dont un de mes correspondants, M. Christian Juin a soigneusement relevé les noms :
Côté gauche du monument :
Louis-François Pannier (1796-1871)
Angélique Cavillon (1797-1875)
Louis-Adolphe Pannier (1827-1851)
Côté droit :
Guillaume Parissot (1814-1895)
Eugénie Angélique Pannier (1823-1855)
Emile Parissot (1847-1859)
Face :
Albert Parissot (1845-1911)

Le cumul des mandats étant alors autorisé, le nouveau sénateur resta conseiller général, et maire de Thibouville, où il avait été élu en 1884.
S’intéressant de près à l’agriculture, il avait donc fondé le comice agricole, le syndicat agricole de Bernay, précisant :
L’association a pour objet l’étude et la défense des intérêts économiques agricoles et le développement des progrès de l’agriculture dans la circonscription. A cet effet elle pourra notamment s’employer à faciliter la création de syndicats agricoles, donner des conférences, instituer des concours agricoles et y distribuer des récompenses, enfin contribuer par tous les moyens qu’elle jugera bons à obtenir l’amélioration des rendements agricoles, l’élevage et le perfectionnement des races de chevaux et de bestiaux, le bonne utilisation des engrais et l’emploi pratique des machines agricoles. Elle pourra créer dans un ou plusieurs cantons des champs d’expériences agricoles pour l’étude de la meilleure utilisation à faire des engrais et semences.
Au conseil général, toujours concernant l’agriculture et l’élevage, il émet les vœux suivants :
- allègement des charges pesant sur les éleveurs en cas d’épidémies
- que la visite des animaux se rendant aux marchés soit faite gratuitement par les vétérinaires nommés par le département, rétribués par lui, comme dans le Calvados et la Seine Inférieure.
- l’interdiction temporaire de l’introduction en France des moutons en provenance d’Allemagne, d’Autriche, de Belgique, qui ont importé l’épizootie de fièvre aphteuse.
- surveiller l’office de la désinfection des wagons dans lesquels auront été transportés les bestiaux et notamment les moutons achetés à La Villette.

Nul doute qu’il fît appliquer ces principes dans ses fermes modèles de Thibouville, Fumechon, Ecardenville, et Beaumont, où il occupa une autre belle demeure…

.....

… dont l’une des allées s’achève par cette harmonieuse construction …


… destinée à admirer ses champs, qui n’étaient peut-être pas, à son époque, semés de lin…


… et dont les meules des moissons n’avaient pas cette forme actuelle :


On peut imaginer qu’il lui arrivait de planter là son chevalet car il était également peintre. Mes recherches ont été hélas infructueuses pour retrouver une seule image de ses œuvres, qui semblent volatilisées, mais dont il demeure cependant trace dans la Bible des artistes, j’ai nommé : le Bénézit :
Parissot (Albert Georges) peintre de fleurs et de fruits, né à Paris au XIX° siècle (Ecole française). Elève de Bouchet et Bergeret. Débuta au Salon en 1879. Sociétaire des Artistes Français depuis 1888
Peintre de fleurs et de fruits : qui dit mieux pour un descendant d’une Belle Jardinière ? C’est aussi la trace probable de l’enseignement de Bergeret, spécialisé dans les « Natures mortes ». On peut d’ailleurs admirer de ce professeur, un appétissant « Homard et crevettes » au musée de Rouen.
Son élève exposa donc des « Chrysanthèmes » au Salon de 1878, des « Fruits » et des « Oranges » au Salon de 1879, et un « Envoi de fleurs » au Salon de 1880. Pour ces 3 années il est domicilié au 143 du boulevard Haussmann.
On peut rêver sur cette œuvre disparue (car si j’en ai trouvé titres et dates d’exposition, je n’en ai hélas découvert aucune reproduction) voire supposer d’autres thèmes que ceux précisés ici. A quelle jolie femme, par exemple, était destiné cet « Envoi de fleurs » ? Car si Parissot resta célibataire, la rumeur publique – qui perdure encore – lui prêta nombre de maîtresses (on me précisa même, dans une de ses anciennes fermes, l’identité de l’une d’entre elles). Imaginera-t-on quelques portraits d’élégantes, telles celles immortalisées par Jules-Alexandre Grün (1868-) dans son « Vendredi au salon des Artistes Français », vaste toile de 6 mètres de long, présentée l’année de la mort de Parissot ?


Ou notre sénateur préférait-il quelques beautés rurales, telles celles d’Albert Fourié (1854-1937) dans son « Repas de noces à Yport » (1886)


Monsieur Juniau se souvenait avoir vu, chez son grand-père des tableaux dont il ignore s’ils avaient été peints par Parissot, mais dont il est certain qu’ils ne représentaient pas des fleurs ou des fruits. Ces tableaux disparurent pendant l’occupation allemande de la dernière guerre, tout comme le billard de Parissot, dont M. Juniau se souvient également.
Mais qui donc étaient les partenaires de billard de notre sénateur-artiste ?
On peut imaginer qu’il eut beaucoup d’amis – vrais ou faux – de par sa situation politique et sa fortune. Mais il est avéré qu’il était généreux de cette fortune, selon une affirmation dont il avait fait sa règle de vie : Je ne prête pas, je donne. Toujours tiré de l’Almanach annuaire du Neubourg :
Qu’a fait M. Parissot depuis qu’il est sénateur et conseiller général ? S’occupant peu de politique, il visite presque quotidiennement les communes de son canton, soutient les malheureux, fait construire à ses frais des lavoirs et des édifices communaux dans toutes les communes qui en sont dépourvues et est pour ainsi dire le père de famille de tout l’arrondissement. Les affaires, il les traite avec justice et équité : soyez catholique ou libre penseur de n’importe quelle nuance politique que vous vouliez, il ne s’occupe d’autre chose que de faire : le Bien.
Echo comparable, mais en plus grinçant, dans un ouvrage de fiction : « La Bossue », de Robert Poirier de Narcay (1859-1918) :


Les électeurs de ces agglomérations rurales avaient voté, il est vrai, pour le candidat républicain, gros manufacturier retiré des affaires, avec une colossale fortune ; mais leurs sympathies allaient non point aux principes qu’il représentait, mais au caractère affable de l’homme et à la facilité d’ouverture de sa bourse, facilité qui s’était traduite en érections d’écoles, réfections d’églises, oui, d’églises, contradiction évidente, pourtant très appréciée des électeurs, en aumônes discrètes, rafraîchissements de gosiers altérés, entretien même d’ivrognes avérés.
L’allusion aux gosiers altérés, ivrognes avérés, est probablement une référence au fait qu’Albert Parissot défendit le privilège des bouilleurs de cru. Et l’époque était aux banquets. Il y en eut de mémorables cette année 1895. Je n’en évoquerai que deux. Celui du 2 mars eut lieu à l’Hôtel du Lion d’or de Beaumont (établissement plusieurs fois centenaire et dont le propriétaire du moment était Lucien Huet), commençant par moult discours de messieurs Hurel (maire), Guéret (adjoint), Sangrain (avocat à la cour d’appel de Paris), Puel (maire de Bernay), Bréville (inspecteur d’école primaire), Hervieu, et bien sûr Parissot, devant quelque 200 convives dans un décor où la verdure le disputait aux tentures et faisceaux de drapeaux. La musique apparut au dessert, pour une remise de médaille vermeil à Parissot, et tout cela se termina par une Marseillaise. Nouveau banquet le 2 mai, offert par la municipalité de Bernay. 300 convives, sous une tente (50m/10) dressée dans le jardin de la sous-préfecture, éclairée au gaz. Le service fut un peu long, on dut attendre passablement les dindonneaux. Mais la fête se poursuivit en nocturne, avec un concert où furent interprétés « La Fauvette du temple », opéra-comique d’André Messager (1853-1929) « Sur les flots », valse de Tréfouel, une marche bretonne, « San Francisco » (marche militaire, de Schubert ?), l’ouverture du « Domino noir » (opéra-comique à succès – 1209 représentations salle Favard ! - de Daniel-François Esprit Auber (1772-1871), et « Grenade » (boléro de Jacques-Louis Battmann (1818-1886). Et bien sûr le sénateur, selon sa généreuse habitude, fit un don pour soulager les nécessiteux de la ville.
Quant à se soucier de l’état des églises, comme, par exemple, offrir à celle de Launay, deux vitraux…


… Parissot n’était pas en contradiction avec lui-même puisqu’il vota contre la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905 (ayant tout de même précisé qu’il était nécessaire de faire respecter la religion lorsqu’ elle ne sort pas de son domaine). Mais sans doute Poirier de Narcay, ce littérateur à particule n’était-il pas du même bord politique que notre sénateur. Initialement médecin à Beaumont (où il situe l’action de son roman, respectant les noms de lieux et maquillant sans doute d’identités fictives quelques habitants), il fut ensuite journaliste, écrivain, et eut également une carrière politique de député. Son éloge funèbre fut faite par Maurice Barrès (1862-1923). Son roman, publié vers 1900, aurait complètement disparu, si Pierre Hervieu


…et Bertrand Hervieu n’en avaient assuré une réédition en 1980, avec une postface d’Armand Frémont (universitaire à Caen) et des illustrations de Danièle Bouttier, artiste beaumontaise.
Parissot eut également des démangeaisons de plume, écrivant quelques saynètes (imprimées par trois chez G. Chamerot, Paris, quai des Augustins) : « Précepteur-vétérinaire et amoureux ! Divorce et fatalité ! Avant minuit » (1881) « Sous un masque, Chez le Docteur, Grandes manœuvres » (1882), sur lesquelles je ne saurais porter aucun jugement, ne les ayant pas lues. J’en conclus seulement qu’il ne reniait pas son tempérament artistique, tout absorbé qu’il fût par la politique. Quant aux lieux de représentation de ces saynètes (comportant peu de personnages), on peut aussi bien imaginer les salons de ses demeures parisiennes, ou, en été, son théâtre de verdure. Il acquit ce terrain de Beaumontel vers 1880, y fit planter diverses variétés d’arbres, dont nombre de résineux, et comme il semblait aimer le cercle, fit tracer un parcours adoptant cette forme, à l’intérieur de laquelle on pouvait trouver deux autres cercles : ce théâtre de verdure et un belvédère où était érigé un superbe kiosque (en demi-cercle) ...

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…que j’ai parfois entendu nommer un « rince-bouteilles ». A l’origine vitré il était destiné à de charmants pique-nique plus abrités que ceux ayant lieu au théâtre de verdure. Dans le demi-cercle devant le kiosque (et d’où était alors visible la vallée, tout comme du théâtre de verdure) une statue de centaure était érigée, que j’ai connue partiellement cassée…


… et qui a un jour disparu. Mais il semblerait qu’elle ne soit pas disparue pour tout le monde, car un correspondant (anonyme !) de notre livre d’or assura qu’elle avait trouvé un nouvel emplacement dans un jardin privé à 3 km. de son lieu d’origine. Pourquoi ce choix d’un centaure, personnage de la mythologie grecque, mi-homme mi-cheval, et dont la troupe avait la réputation d’enlever les femmes et de boire déraisonnablement ? Encore une question sans réponse (ou dont la réponse inclinerait à penser que le commanditaire de l’œuvre était un gaillard !)
Par un bel après-midi de juin 1989, alors que mon mari et moi, une fois de plus en promenade au Parc, faisions une pause dans ce théâtre de verdure, nous entendîmes parler allemand. Notre surprise fut moins grande que celle des deux personnes conversant dans cette langue car je savais que les arrières de ce théâtre de verdure avaient servi de cimetière allemand pendant la dernière guerre. Mais les tombes ayant ensuite été relevées et transférées au cimetière allemand de Saint-Désir-de-Lisieux, la végétation – qui, au fil du temps, avait caché les paysages des belvédères – avait repris ses droits. Les deux promeneurs se présentèrent : Claude Masson, ancien journaliste à Ouest-France, Otto Happel, ancien radio du terrain d’aviation allemand implanté, de 1940 à 1944, entre Pierrelaye et Beaumont-la-ville, sur les anciennes terres de Parissot. Bien que née après la guerre (1947) j’avais évidemment entendu évoquer cet aérodrome, car il fut le plus important de Normandie (jusqu’à 2500 Allemands y passèrent, soit autant que la population beaumontaise). La conversation s’engagea, car Otto revenait chaque année à Beaumont, essayant toujours d’y retrouver quelques Français avec lesquels il s’était lié durant cette terrible époque, et j’étais pour ma part très curieuse d’en apprendre un peu plus sur ce terrain, dont il reste des traces, sous forme de pistes…

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… ou de murs d’anciens bâtiments, dans les pâtures et les champs :



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Ces ruines, fragments d’histoire, m’avaient toujours été familières dans mon enfance (comme devaient l’avoir été, pour les enfants nés sur les côtes normandes, les restes de blockaus) mais j’aurais aimé, adulte, voir des photos de ce terrain lorsqu’il était en service. Et voilà que cet Allemand en possédait dans sa voiture, à l’entrée du parc. Il m’en montra donc, et même, l’année suivante, m’en donna, de son baraquement…

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… et cette autre datée de juillet 1942, d’un de ses camarades en compagnie de deux gradés, dont Walter Oesau (1913-1944) le « kommodore » du JG2 Richthofen


… ainsi que de l’enterrement d’Egon Mayer (1917-1944) ayant eu lieu dans ce théâtre de verdure (8 mars 1944) :

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Et moi, pour ne pas être en reste quant à la mémoire des lieux, j’évoquais Parissot, lui apprenant que cet endroit avait eu, bien antérieurement, une plus aimable fonction.
Revenons-en, d’ailleurs, à Parissot. Peut-être fit-il également jouer ses saynètes et/ou exposer ses œuvres picturales au Cercle Volney (fondé en 1884), à Paris. Ce cercle n’était qu’un regroupement d’artistes parmi d’autres, car ainsi que nous l’apprend Jean-Paul Bouillon : La multiplication et le développement des sociétés d’artistes constitue sans doute l’une des caractéristiques de la vie artistique française durant cette période. Plus généralement c’est peut-être l’un des indices significatifs des modifications profondes de la société française à cette époque.
Parissot s’intéressait également de près au fonctionnement de la justice, proposant d’améliorer l’état des prisons. Enfin il « militait » pour la défense du patrimoine (notion récente après tous ces siècles de négligence où les destructions et le réemploi des matériaux avaient fait disparaître nombre de monuments). Il était en cela émule de Prosper Mérimée (1803-1870)…


… qui fut, dès 1834, nommé au tout nouveau poste d’Inspecteur général des Monuments historiques et Antiquités nationales. Voici le discours que Parissot prononça au Sénat, le 26 décembre 1895 :
Messieurs, vous allez être appelés, dans quelques semaines à donner votre avis sur les projets de la prochaine exposition universelle et à juger de la valeur des divers monuments dont les plans et détails doivent nous être incessamment présentés. Je me plais à espérer que la construction de ces palais nouveaux donnera satisfaction à notre goût artistique, mais je ne suis pas sans éprouver quelque inquiétude quand je songe aux derniers spécimens dont nous voyons encore au Champ de Mars les squelettes plus ou moins abandonnés. Et je me mets à songer, messieurs, qu’il est un palais, merveille de Paris et du monde, qui réunit à la fois les plus grands souvenirs historiques et les modèles divers des plus charmantes architectures, et que ce palais, nous semblons l’avoir oublié, nous le laissons inachevé, alors qu’il reste très peu de chose à faire, et cela faute de quelques millions, de quelques centaines de mille francs peut-être. Je veux parler, vous l’avez compris, du palais du Louvre. Il reste, messieurs, trois parties à terminer dans le Louvre pour qu’il soit entièrement achevé. Permettez-moi de vous les indiquer très brièvement. Il y a d’abord le grand escalier, l’escalier d’honneur, le seul qui soit digne du monument et des collections admirables qu’il contient. Depuis vingt-cinq ans cet escalier est en construction, depuis vingt-cinq ans il est presque inabordable, rempli d’échafaudages, avec des marches en bois et plongé dans une demi-obscurité. Il ferait partie d’un bel hôtel parisien qu’il serait terminé avant six mois ! (…) Vient ensuite sur la place du Carrousel, tournant le dos à la rue de Rivoli, une ligne d’anciens bâtiments qui doivent disparaître dans le plan d’ensemble ; il s’agit de répéter entre les guichets et le pavillon de Marsan la même architecture déjà réalisée de l’autre côté de la place. (…) Enfin, sur la rue de Rivoli, entre les guichets et la place des Pyramides, vous voyez un grand nombre de niches attendant depuis longtemps leurs statues de pierre : il y en a 46 exactement. J’ajoute que cette partie du Louvre est peu intéressante tant que les dites statues ne seront pas à leur place ; elles doivent jouer le rôle principal dans l’effet architectural : sans elles le monument est absolument insignifiant. Il ne manque pas de statuaires de talent qui seraient heureux d’avoir des commandes de l’Etat (…) Cela fait, en y ajoutant quelques parterres habilement dessinés dans la grande cour du Carrousel, le Louvre sera enfin complètement achevé, et nous pourrons le montrer avec fierté aux étrangers que doit attirer l’exposition universelle. Ne trouvez-vous pas, messieurs, qu’il est intéressant que le dix-neuvième siècle se termine dignement par l’achèvement de ce monument admirable, la gloire non de Paris, mais de la France entière ? Je viens donc demander à M. le ministre des beaux-arts de faire étudier, non pas les plans – ils existent déjà – mais les dépenses nécessaires qu’on pourrait répartir sur les budgets de 1897, 1898, 1899 et 1900. L’exposition de 1880 nous a légué, hélas, la galerie des machines et la Tour Eiffel. Celle de 1900 nous lèguera le Louvre enfin achevé. Ceci nous consolera de cela !
Vifs applaudissements dans les rangs : la tour Eiffel avait alors ses détracteurs, tout comme le mouvement impressionniste…
Peut-être que Parissot, évoquant les niches en attente de statues, s’était remémoré ces autres niches dont les statues avaient disparu depuis longtemps au Prieuré de la Trinité à Beaumont …


… comme avaient disparu ses vitraux…


… ne laissant plus, de ce Prieuré qu’un immense cadavre dépecé :


Et pourtant, il avait eu de quoi se défendre, ce Prieuré, avec son redoutable mur de fortification…


… doublé d’un autre mur fortifié dès son couloir d’entrée…


…où la lumière traverse d’autres fenêtres orphelines de leurs vitraux…


C’est Roger à la barbe (1015-1094), fils d’Onfroi de Vieilles (mort vers 1050), lui-même petit-fils d’un certain Torf de Pont-Audemer (prénom assurément viking) qui fonda ce prieuré. Ce qui avait été une grande partie de la Neustrie, ravagée par ces hommes venus du nord de l’Europe, était en effet devenue la Normandie. Rollon (mort vers 930), son conquérant viking, s’était, en échange des terres accordées par le traité de St Clair-sur-Epte (911) converti au christianisme (au moins en apparence) et avait été fait duc de Normandie par le roi de France Charles III (879-929). Son arrière-petit fils, Richard II (996-1026), avait épousé, en l’an 1000, à l’abbaye du Mont Saint Michel, Judith de Bretagne (982-1017), à laquelle il avait donné différents domaines dont : Fontaine-Labbé, Beaumont, Beaumontel, Vieilles ; dans lesdits domaines 21 églises, 18 moulins, 13 charrues de bœufs avec tous les serfs et tout le mobilier des domaines, avec les prés, forêts, terres cultivées et incultes, issues et revenus, eaux et cours d’eau, pêcheries et tout ce qui paraît dépendre de ces lieux. L’héritage de Judith (qui avait légué tous ses biens à l’abbaye de Bernay, qu’elle avait fondée), fut objet de querelles entre seigneurs locaux, ce qui permit à Onfroi (cousin de Richard II) d’hériter de Vieilles, Beaumont et Beaumontel. Son fils Roger, héritant de son père, de son frère aîné, et de son épouse Adeline de Meulan (morte en 1081), possédait donc de grands domaines. Il fut un personnage important de ce XI° siècle puisqu’il était des quinze barons réunis à Lillebonne par Guillaume le bâtard (1027-1087) duc de Normandie, pour organiser une expédition punitive contre Harold (1022-1066) fils d’Edouard le confesseur (1004-1066), roi d’Angleterre. Edouard avait en effet désigné Guillaume pour son successeur, mais Harold, refusant le choix paternel, s’était emparé du pouvoir en 1066. L’expédition punitive fut un succès, comme on sait, et Guillaume, en plus d’y gagner l’Angleterre y gagna un nouveau surnom, plus reluisant : il devint Guillaume le Conquérant. Quant à Roger, dont on ignore s’il s’était enfin rendu aux canons de la mode en rasant sa barbe, il est passé à l’histoire sous le nom de Roger de Beaumont. Il ne fut pas pour autant sur les vaisseaux ayant fait vent vers l’Angleterre (mais il en équipa 60 pour le transport des troupes !), Guillaume l’ayant prié de gérer le duché de Normandie en son absence et de prendre soin de son épouse, Mathilde de Flandre (1031-1083) laquelle vécut donc à Beaumont durant quatre années. Elle aurait certes eut le temps d’y broder, avec quelques dames d’honneur, la célèbre « tapisserie » portant son nom, si nous ne savions à présent que cette toile brodée avait été commandée par Odon de Bayeux, demi-frère de Guillaume, pour orner la nef la cathédrale dont il était l’évêque. Et Odon étant passé en Angleterre en même temps que Guillaume, on sait également que cet extraordinaire ouvrage fut fait à Winchester ou Cantorbéry entre 1066 et 1082, et non pas à Bayeux ni dans la forteresse de Beaumont !
Forteresse ? Où (se demandent probablement les touristes contemporains) ? Et la réponse laisse incrédule vu la structure du terrain : au-dessus du prieuré (qui aurait été une plus vaste abbaye, avec collégiale, si le terrain avait été plus vaste), dans ce qui n’est plus à présent qu’un fouillis végétal. Elle avait pourtant été puissante, cette forteresse…


… qui communiquait avec le prieuré par des couloirs et escaliers dérobés, dont il ne reste que quelques entrées, où je pouvais encore pénétrer dans mon enfance (y respirant, dans l’obscurité aussi rassurante qu’un ventre maternel, la puissante odeur de pierre crayeuse), mais que l’obsession sécuritaire de notre siècle a fait récemment obturer de grilles :


Roger, donc, fut un grand constructeur, doublé d’un homme intègre, ainsi que le définit le moine bénédictin Guillaume de Malmesbury (mort en 1143) : homme d’une simplicité et d’une bonne foi antiques, il refusa toujours d’aller en Angleterre où le Conquérant lui offrait toutes les possessions qu’il pouvait demander. Mais il n’était point dans ses intentions d’envahir, de l’autre côté de la mer, des biens sur lesquels il n’avait aucun droit. On lui doit aussi, à l’intérieur de sa ville ceinte de remparts…


…l’église Saint Nicolas, qui fut … détruite vers 1170 lorsque Henri II d’Angleterre (1133-1189) s’empara de la ville, reconstruite peu après, de nouveau partiellement ruinée en 1438, encore reconstruite, finalement achevée au XVII° siècle, comme en témoigne son portail :


Pénétrant alors à l’intérieur, on est frappé par la hauteur du bâtiment…


… et surtout par la beauté des vitraux Renaissance, attribués à Francesco Primaticcio, dit Le Primatice (1504-1570)…


arrivé en France en 1549 et qui aurait également eu des projets de vitraux pour le château d’Anet, une hypothèse étayant l’autre… Quelques exemples ci-dessous de ces merveilles de l’église de Beaumont (où il manque hélas les photos de mes vitraux préférés : « La légende de Théophile » et de somptueuses « Noces de Cana »)


Entrée de Jésus à Jérusalem


La Cène


Martyr de St Christophe


Saint Christophe portant Jésus


Nativité
On peut également admirer deux clefs pendantes…


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… un impressionnant lutrin (2m10 de hauteur), une émouvante Pieta (XVI° siècle.), le maître-autel (XVII° siècle, avec tabernacle en marbre et deux anges de bois doré), la dalle mortuaire (XIV° siècle) de Jehan de Moustiers et son épouse Jacqueline de Gauville , ainsi qu’une vingtaine de statues en bois ou pierre (XV°, XVI°, XVII° siècles), dont voici deux exemples :

Notre-Dame de Grâce
(bois, XVI° s.)


Saint Roch
(bois, XVII° s., attribué à Michel Lourdel ou son atelier)

Certains de ces chefs-d’œuvre proviennent parfois d’autres bâtiments cultuels disparus au fil des siècles : les églises Saint-Aubin (destruction révolutionnaire) et Saint-Léonard (destruction révolutionnaire), les chapelles Saint-Martin et Saint-Jean et, à l’intérieur de l’Hôtel-Dieu, les chapelles Saint-Antoine et Sainte-Véronique. Cet Hôtel-Dieu, commencé en 1312 et continué par Louis XI (1423-1483) a été supprimé à la fin du XVII° siècle. Nous connaissons son emplacement approximativement en face de l’ancienne mairie, écrivait Jacques Charles en 1990. Cette approximation me permet d’imaginer que ma maison natale…



… fut construite à cet emplacement brutalement dégagé ; voire de supposer, même, que notre tour de l’escalier…


… était une partie épargnée de cet ancien établissement charitable, sur lequel aurait été construite la petite maison accolée à cette tour, et qui, portait, inscrite dans la pierre, la date de 1772 :


Fut partiellement épargnée de la destruction l’Eglise Notre Dame de Vieilles (XVI° siècle). Très partiellement car il n’en reste guère qu’une tour (ayant perdu sa partie supérieure) et quelques mètres de murs, sur lequel j’ai remarqué un graffito marin. Sans doute l’ex-voto d’un marin beaumontais se mettant sous la protection de la Vierge, ou remerciant de n’avoir pas fait naufrage. Cette œuvre mineure mériterait d’être protégée car, subissant l’usure du temps, elle est en voie de disparition.
La forteresse, le Prieuré de la Trinité et l’église Saint Nicolas, ces trois chefs-d’œuvre dus à Roger de Beaumont (dont les fils Robert et Henri se couvrirent de gloire en Angleterre, le premier à la bataille d’Hastings, le second en matant la révolte des Gallois et des Bretons, ce qui leur valut d’être faits comte de Leicester et comte de Warwick.) n’ont pas tous subi des sorts identiques. Plus généralement Beaumont connut bien des drames et destructions successives, des guerres médiévales multiples (dues au fait que les rois d’Angleterre, descendants de Guillaume, tenaient à conserver cette ville autant que les rois de France (dont ils étaient les vassaux !) et de Navarre tenaient à la récupérer) : Philippe Auguste (1165-1223) prit et détruisit la ville en 1198 ; elle fut reconstruite, mais Bertrand Du Guesclin (1320-1380), au service du roi de France Charles V (1338-1380) l’assiégea et en rasa fortifications et château quand elle se rendit, le 3 mai 1378. Puis ce fut au tour d’ Henry V d’Angleterre (1387-1422) vainqueur d’Azincourt en 1415, de prendre Beaumont en 1418, puis en 1431. Un incendie ravagea la cité en 1450, et en 1593, les Anglais, alliés de l’Espagne brûlèrent entièrement la cité encore une fois reconstruite. Enfin la tempête révolutionnaire, passa sur Beaumont, ce dont le Prieuré pâtit grandement, comme nombre de bâtiments religieux dans toute la France. En partie détruit, il ne subsista partiellement que grâce à une filature de coton et une fabrique de rubans qui y furent installées. Nouvelle menace en 1847, quand la ville refusa de l’acheter aux propriétaires du moment (qui en demandaient pourtant une somme bien inférieure à sa valeur !), préférant l’adjuger à un homme qui détruisit l’édifice pour en vendre les matériaux ; on brisa les tombeaux pour en négocier la pierre, jetant parmi les décombres les morts ensevelis dans leurs linceuls de cuir tanné. C’est alors que monsieur Lenormand, membre de l’Institut, tardivement prévenu, arrêta la démolition déjà avancée et racheta ce qui restait pour en faire une promenade publique. De cette période troublée datent d’anciens fours en briques…


… un dessin (1840) des frères Laumônier


… deux gravures romantiques :

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Albert Robida (1848-1926)…

…immortalisa également ce monument (mais je n’ai pas de reproduction à en proposer ici) à un moment où des masures étaient encore accolées à ses murs…

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… et ne furent supprimées qu’après 1950, comme en témoigne cette photo prise dans ma petite enfance (oui : c’est moi dans la poussette !)


Et l’église n’était pas épargnée non plus de cet inesthétique voisinage (avant 1903)


… dont elle fut débarrassée ultérieurement (c’est encore à Parissot qu’on doit la disparition de ces « verrues », car il les racheta à leurs propriétaires pour pouvoir les supprimer) :


On construisit alors (1904-1905), sous la direction de M. Gossart , architecte des monuments historiques, un mur de soutènement et le grand escalier d’accès au parvis.
Mais le dernier lieu de culte de Beaumont encore existant eut, comme une grande partie de la ville, à souffrir de la proximité du terrain d’aviation allemand de la dernière guerre :


Quelques courts extraits du très long article de presse (avril 1992) d’Emanuel Huille au sujet de cette bataille aérienne :
(…) Suite à un décalage de minutage 6 Lancaster partis de Nettleton pour un raid sur Augsbourg rencontrent des avions allemands revenant de Rouen (…). Un premier Lancaster tombe, se désintégrant avec ses 7 membres d’équipage (…) Un second a son fuselage déchiré par les obus ennemis, mais le pilote, bien que légèrement blessé, réussit à larguer les bombes et se poser dans un champ ; avant de fuir l’équipage prend le temps d’incendier l’avion (…) Un troisième Lancaster, touché à mort, éventre un bâtiment de ferme où il se désintègre (…). Les 3 autres sont en fuite, mais l’un est rejoint et abattu près du terrain d’Evreux (…). Les deux derniers sont touchés à leur tour, mais les Allemands cessent brusquement de les poursuivre, craignant de manquer de carburant et préférant se poser à Evreux (…). Malgré l’état de ces deux avions, les équipages maintiendront leur cap sur Augsbourg, où ils lâcheront comme prévu leurs bombes sur l’usine M.A.N., avec le renfort d’un autre escadron de 6 Lancaster ayant échappé à la chasse allemande(…). Quant aux rares membres d’équipages sortis vivants des avions tombés dans les champs de Beaumont, l’un a pu se cacher dans une grange, où les Allemands l’arrêteront le lendemain. Les six autres sont recueillis par madame Dupont une fermière dont le mari était prisonnier. Le lendemain ils commencent une errance de deux semaines à travers bois, avant d’être à nouveau recueillis par monsieur Demarquay un cultivateur. Et le jeune Jacques Courcoul les convoie chez les Siodeau puis les Legenvre. La Résistance les dirige alors sur Alençon, où l’ancien chef-pilote de l’aéro-club Francis Cagnard les emmène franchir la ligne de démarcation. Ils sont hélas arrêtés par la police de Vichy à Limoges. Ils connaîtront la captivité dans un vieux fort près de Nice, seront transférés en Italie, puis en Allemagne et dans un sinistre camp du fond de la Pologne.
Ce combat aérien n’avait fait aucun dégât sur Beaumont, et aucun Français n’y avait été tué. Il n’allait pas en être de même à partir de 1943, avec l’arrivée de la 8° Air Force en Angleterre, ainsi que le rapportait Robert Fort, maire de Beaumont, en 1945 :
Trente-deux bombardements en un an ! Telle est la cruelle rançon payée par Beaumont-le-Roger pour sa libération après quatre années d’oppression par les troupes allemandes (…). Le premier bombardement eut lieu le 28 juin 1943, à 18h. Et comme les Allemands n’avaient pas donné l’alerte, la ville eut à déplorer 38 morts et de nombreux blessés. Les raids alliés allaient se poursuivre, toujours plus violents, jusqu’au 24 août 1944, date de la libération de la ville par les troupes canadiennes. Les plus terribles furent, outre le premier, ceux du 22 août 1943, du 23 mars 1944, du 22 mai 1944, qui eut lieu de nuit et au cours duquel l’église saint Nicolas fut détruite et celui du 12 juin 1944 qui comporta trois bombardements successifs avec des bombes de petit calibre. Le 17 août 1944, lorsque les Allemands commencèrent à se retirer, une dernière pluie de bombes s’abattit sur la ville dont le centre fut presque complètement ruiné. Finalement la Wehrmacht se résigna à abandonner Beaumont-le-Roger, non sans avoir fait sauter les trois ponts enjambant la Risle tandis que les habitants qui, depuis les bombardements avaient abandonné leurs habitations, et dont beaucoup vivaient dans des abris creusés à même les collines, rentraient chez eux ou s’installaient dans des baraques.
Voici l’église mutilée, telle que je l’ai connue dans mon enfance …

.....

… et telle qu’elle existait avant la guerre, collatéral nord.


Ce collatéral fut, toute mon enfance, la seule partie que je connus, fermée, sur la droite, d’un mur de planches nous séparant de ce qui avait été le chœur …


… et le collatéral sud, tout aussi endommagé……
La chaire (d’époque Louis XIII), les stalles du chœur, sa clôture , les bancs de la nef, le banc d’œuvre, le grand orgue, les vantaux sculptés de la porte sud, les vitraux du XIX° siècle avaient été écrasés par les bombes. Un certain nombre de verrières (celles qui étaient classées) avait heureusement été sauvées grâce à l’intervention de Marcel Baudot (1902-1990), historien et archiviste, qui les avait fait déposer un mois avant les premiers bombardements. Entré en résistance dès 1940, il termina la guerre comme chef des forces françaises de l’intérieur pour le département de l’Eure.




Les travaux de reconstruction (pour refaire à l’identique les parties détruites) commencèrent en 1951, sous la direction de m. Merlet , architecte en chef des monuments historiques Gabriel Gendreau architecte départemental des bâtiments de France. Ce fut entrepris avec des étapes dont j’ai la mémoire car elles correspondirent parfois à des cérémonies me concernant : le chœur fut rouvert par moitié pour les communions solennelles de 1958 ; et l’église en son entier en 1971. De nouvelles verrières avaient été posées, œuvres de Max Ingrand (1908-1969) et Michel Durand. Et la dernière porte (dans le collatéral sud, ouvrant sur la terrasse) fut refaite l’année de mon mariage (1975)
Furent également détruits, ce château :


…qui, occupé par les Allemands, avait également abrité quelques-unes de leurs tombes :


Le manoir du Hom , plus éloigné de la trajectoire des avions fut épargné :

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C’est une gracieuse construction datant du XVI° siècle, construit sur l’emplacement d’un ancien château fortifié, où s’illustra Isabelle de Pomereuil, au XV° siècle, en résistant aux Anglais.
Mais le manoir de Chantereine…

......

… à mi-chemin de l’église et du prieuré subit de gros dégâts. C’était en fait un grand domaine, dont la première mention écrite nous apprend qu’il s’agissait, au XI° siècle, d’un jardin que Raoul Pincerne et son épouse Avicie donnèrent aux moines du Prieuré pour sauver leurs âmes (qu’avaient-ils donc commis pour les croire perdues? L’Histoire ne le rapporte pas). On n’en sait guère plus jusqu’à la création du manoir, qui serait due à François Mansart (1598-1666), lequel aurait également édifié, à quelques kilomètres de Beaumont, le somptueux château de Beaumesnil…


…dont les terres appartenaient, au siècle des très pieux Raoul et Avicie, à … Roger de Beaumont. Le manoir de Chantereine était beaucoup plus modeste que Beaumesnil quand il revint au Duc de Bouillon, suite à un échange de domaines avec Louis XIV (1638-1715). Cette modestie n’empêcha pas la confiscation de la propriété nobiliaire par les révolutionnaires de 1789. Mais, peut-être parce que ce n’était pas un bâtiment religieux, elle échappa aux habituelles démolitions. Devenue bien national, puis impérial, elle fut offerte à l’impératrice Joséphine par Napoléon 1er. On ignore si elle y mit jamais le bout d’une chaussure et je vous fais grâce de la liste des propriétaires suivants pour en arriver au dernier : Aston Knight (1873-1948).
De parents américains, il naît à Paris. Voici ce qu’écrit Bertrand Kempf de son père Daniel Ridgway Knight (1839-1924) :
C’était un peintre des plus connus, qui séjourna longtemps en France et qui s’était même fait la spécialité de peindre la vie rurale française. Il avait acquis le château de Poissy, ayant Meissonier comme voisin, ami et maître, et une maison de campagne à Rolleboise. On peut le comparer à Millet, mais en plus gai pourrait-on dire, ainsi qu’à Corot. Certaines de ses toiles sont célèbres, pour l’anecdote je citerai « Le bas de laine » qui fut acheté par le Gouvernement français et dont les reproductions ornèrent en 1917 les postes, banques et mairies de toutes les localités françaises.


Comme on le comprend, Aston eut l’heur de naître dans une famille riche et talentueuse. Ce qui lui permit de devenir également peintre puis de quitter la péniche (qu’il habitait sur la Seine du temps où il suivait les cours de Jules Lefebvre (1837-1911) et Tony Robert Fleury (1836-1911) à l’Académie Julian de Paris) pour un moulin du XVI° siècle, qu’il acheta près de Beaumont, avant 1914, puis le manoir de Chantereine, acquis en 1919. En quelque sorte il vécut toujours les pieds dans l’eau, et ce n’est pas qu’une métaphore, car il n’hésitait pas à chausser des cuissardes pour peindre in situ…


… dans la Risle…


… qui est toujours aussi claire…


… et qu’il illustra tant et plus :


Même quand il voyageait hors de France (Londres, Venise, New-York), c’était toujours pour saisir sur ses toiles les reflets de la lumière dans l’eau. Il devait d’ailleurs demeurer, pour la postérité, le peintre des eaux.
Revenons-en à son installation à Beaumont. Le manoir était entouré d’un jardin, qu’il agrandit et transforma :


Ce jardin était ouvert à toute personne voulant le visiter. Il suffisait de sonner à la cloche de la porte d’entrée du domaine…


…car le peintre avait en commun avec Albert Parissot (qu’il ne put connaître hélas) une extrême générosité, une volonté de partager non seulement son jardin…


…son tennis, ses piscines…

......

… mais aussi sa fortune car il venait régulièrement en aide aux personnes malades ou en difficulté. Et il partageait avec son ami Claude Monet (1840-1926), auquel il rendait souvent visite à Giverny, la passion des jardins. Et, là encore c’est une passion qu’il souhaitait faire partager aux Beaumontais, car il distribuait graines et boutures, organisait des concours de maisons fleuries, généreusement primés. Je me demande d’ailleurs si le corso fleuri auquel je participais dans mon enfance…

.....

… n’était pas une survivance tardive des fêtes qu’Aston Knight organisait pour la Saint Fiacre, patron des jardiniers. J’étais très fière de mon authentique costume de Normande…


… et je peux affirmer que les fleurs décorant nos charrettes à ânes étaient des roses véritables, car j’en eus un avant-bras copieusement piqué par leurs épines !
Evidemment le peintre n’était pas célèbre qu’à Beaumont ! Sa réputation était internationale et Warren Harding (1865-1923), président des Etats-Unis, lui acheta une toile (d’un crépuscule sur la Risle) en 1922, pour la Maison Blanche. Et son successeur, Calvin Coolige (1872-1933) organisa, en ce même lieu, une exposition qui lui fut entièrement consacrée. Beaumont est donc présent aux Etats-Unis, et pas seulement à Washington, mais aussi à New-York, car 3 fenestrages provenant de la partie méridionale de l’église du Prieuré figurent au musée des cloîtres. Quand et par qui furent-elles exportées là-bas ? Je ne peux supposer que ce transfert (de poids !) ait été effectué par Aston Knight, car il n’emporta même pas dans ses bagages de 1940, la centaine de toiles qu’il avait peintes ou tenait de son père. Il s’agit plus probablement de Georges Grey Barnard (1863-1938) sculpteur américain et collectionneur passionné d’art médiéval :


Cet artiste vécut à Paris de 1884 à 1896 (où il suivit des cours à l’Ecole des Beaux-arts, dans l’atelier de Pierre Jules Cavelier (1814-1894), exposant, comme Parissot, au Salon des Artistes français, en 1894). Quant il n’était pas occupé à ses œuvres, il sillonnait la France pour acheter chez des antiquaires et des particuliers des sculptures médiévales et des fragments de monastères vendus comme bien nationaux à la Révolution et démantelés par leurs propriétaires. Grâce à la générosité de John D. Rockefeller (1839-1937) cette collection et les bâtiments qui la renfermaient furent acquis en 1925 par un des plus célèbres musées de New-York, qui ouvre le nouveau site au public en 1938. Et c’est encore à un Américain, mon correspondant John Belmont (venu visiter Beaumont avec moi en septembre 2012) que je dois de pouvoir insérer ici les photos de nos trois fenestrages sauvés (auxquels furent rajoutés des morceaux de vitraux qui ne sont pas d’origine) :

..........

Aston Knight quitta donc Beaumont à regret, et peut-être précipitamment, en ce terrible moment où la France commençait d’être occupée. Il confia ses œuvres à un ami qu’il croyait sûr, et qui ne le fut pas car il ne les rendit pas à son fils Ridgway Brewter Knight quand il vint pour les reprendre. Nous ne pouvons donc admirer, dans l’Eure, au musée d’Evreux, qu’une seule œuvre, qui fut offerte par Aston Knight en 1935.


L’histoire de ce manoir et de son dernier propriétaire, si passionnément liés, finit mal. Car Aston, fuyant les Allemands, rentré à New-York, n’imaginait sans doute pas que son domaine serait bombardé par des Américains. C’est en effet l’offensive de George Smith Patton (1885-1945)…


… désireux de détruire les ponts pour couper toute retraite à l’ennemi après le débarquement, qui fut fatale aux ponts de Beaumont (comme à ceux de Beaumontel, La Ferrière et sans doute d’autres villages traversés par des rivières). Le manoir…


… le pavillon de la source…


… qui ouvrait sur le jardin…


… le « cottage de Diane », puzzle si patiemment construit à partir des bois récupérés sur trois bâtiments en perdition…


… et dont il avait fait une sorte de musée de la vie rurale…


…commentant (pour le professeur d’horticulture Albert Maumené (1874-1936) venu faire un long reportage dont sont extraites ces photos) : la chaumière, couverte de roses, entourée d’eau sur ses quatre côtés, me plaît à peindre, et plaît à ceux qui voient mes tableaux. Je continue à la peindre et repeindre, non par habitude, ou à cause de son succès, mais parce que je suis persuadé que, jusqu’à présent, je n’ai pas réussi à en rendre le grand charme et la beauté. C’est donc un effort constant, plutôt qu’une répétition.
Cette chaumière, qui longtemps après sa destruction inspirait encore, d’une mémoire aussi nostalgique qu’approximative, quelque « peintre du dimanche » habitant Beaumont :


Bref : ce merveilleux domaine qu’Aston tenait pour le plus bel endroit du monde fut donc sérieusement endommagé, puis pillé. Et il y avait de quoi piller, comme on pourra en juger par ces photos de quelques pièces du manoir :

......

.....

Mais la suite est pire, nous raconte Bertrand Kempf, quand l’exilé de New York apprit le bombardement ayant saccagé son domaine :
Très affecté, Aston Knight – qui a 72 ans – renonce à revenir à Beaumont. Il fait don à la municipalité de la propriété de Chantereine et de trois autres maisons et jardins en ville, se contentant de recevoir de modestes dommages de guerre, et seulement pour le manoir. Que se passe-t-il alors ? Chantereine, loin d’être remise en état et en valeur, est rasée, bâtiments et jardins. Pourquoi ? Geste de colère après ce bombardement peu sélectif ? Vindicte à l’encontre de l’Américain généreux mais peut-être un peu paternaliste ? En apprenant cette destruction, Aston Knight a une attaque, ne peint presque plus, usant anormalement de la couleur bleu, et meurt trois ans plus tard.
Le château, propriétaire nobiliaire, à quelques centaines de mètres, subit le même sort, et une avenue est tracée, comme un coup de couteau tranchant la mémoire des lieux.
Mais, tout de même, la guerre avait pris fin. Les aviateurs alliés tués le 17 avril 1942 dormaient pour l’Eternité au cimetière du Bourg-dessus :


Ce cimetière avait remplacé, après 1810, celui attenant à l’église. Et pour ce nouveau cimetière (situé en haut de la côte qui prit alors le surnom de « Monte-à-regret »), Parissot (mais oui : encore lui !) offrit ultérieurement la construction d’une maison de gardien, jugée nécessaire car les vols d’ornements funéraires sur les tombes étaient fréquents. J’ignore si les habitants actuels de cette maison tiennent encore cet office. En ce lieu (qui subit un effondrement inattendu, suivi d’une fermeture temporaire, dans les années 50, car il surmontait la caverne d’une champignonnière) les aviateurs anglais voisinent avec les « morts pour la France » de la guerre précédente. Ils me semblent mériter, ces jeunes héros de 1942 (dont le plus jeune avait 18 ans et l’aîné 26 quand ils ont été abattus), que leurs noms soient connus au-delà du mur de ce cimetière, ce pourquoi je les rapporte ici :
J.H. Hackett
G.W.J. Hadgraft
B.D. Moses
H.A.P. Peall
A.E. Ross
R.R. Sandford
B.G. Seagof
R.L. Trustram
P.J. Venter
R.E. Wing
A.J. Harrisson
L.Law
A.Gerrie
J.F. Beckett
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Ils voisinent également avec Jules Prior (1821-1903)…


…illustre Beaumontais que rien ne semblait devoir prédisposer à la littérature : né dans une famille pauvre, il fréquenta l’école fort tard et assez peu. Mais ayant finalement appris à lire, à écrire, ayant fait des rencontres heureuses, il prit goût à l’exercice littéraire, tout en exerçant son métier de tonnelier.


Il participa également à la défense de Beaumont, attaqué par les Prussiens en décembre 1870. Fait prisonnier, relâché, il gagna ensuite Paris pour y participer à l’extinction des incendies allumés par les Communards. Entre 1872 et 1896, il publia « Un Prisonnier de Metz » (drame en 3 actes) « Les Veilles d’un artisan. Une nuit au milieu des ruines » (qui fut réédité en 2011 aux Etats-Unis !), « Les Nouvelles poésies d’un artisan » et quelques autres opuscules. Sa tombe porte un de ses poèmes :
Quand je reposerai dans le champ des tombeaux
Qu’on plante sur ma sépulture
Un genièvre où l’hiver tous les petits oiseaux
Trouvent asile et nourriture
Et qu’à chaque printemps vers le trône éternel
Leur voix montant suave et pure
Devienne pour mon âme une prière au ciel
En 1945, les Français prisonniers en Allemagne…


… étaient rentrés, bien après que ce jeune soldat allemand ait dit adieu aux enfants beaumontais.


Un sobre monument avait été dressé devant l’un des abris où la population s’était si souvent réfugiée quand les sirènes d’alerte prévenaient de bombardements imminents :


Il s’agissait de grottes (naturelles ou creusées, je l’ignore) sous le prieuré, ces ruines si emblématiques …


… près desquelles le petit lavoir sur la Risle existe encore :


Le pont de l’étang, immortalisé par une aquarelle de J. Mely ...


… fut reconstruit à l’identique…


La vie économique du village redevint plus florissante, à l’usine de dentelles…


… comme aux tanneries, aux moulins, et dans les commerces. Les enfants retournèrent à l’école, dans leurs classes reconstruites (filles séparées des garçons comme c’était encore l’usage) :


Les champs de ruines, devenus des terrains vagues (propices aux jeux des enfants !) disparurent. On construisit de nouvelles maisons, et pas seulement à l’emplacement des anciennes. Dans le quartier de Saint Laurent, là où une maladrerie avait accueilli, du XI° siècle au XVI° siècle, les lépreux de Beaumont et Beaumontel, on construisit aussi, mettant à jour quelques squelettes du cimetière, dont on négligea les ossements car l’heure n’était pas encore à l’archéologie de sauvetage. Ainsi disparurent également les derniers pans de murs de la chapelle Sainte Marguerite, desservant la léproserie et toujours attestée au XV° siècle. Je n’ai guère, pour imaginer ce lieu (alors à l’écart des villages, pour éviter la contagion) que les ruines de la chapelle Saint Thomas Becket (1117-1170), en forêt d’Aizier, où de récentes fouilles archéologiques mirent à jour les fondations d’une léproserie dont on ignorait l’existence (et qui aurait été en usage de 1180 à 1550) :


On trouva également le cimetière des lépreux, prenant grand soin de leurs ossements, si utiles à la compréhension de l’Histoire. Ce lieu étrange (où les traces de fouilles ont à présent disparu, laissant la nature reprendre ses droits), dont on avait oublié l’origine, avait cependant imprégné les mémoires, car une petite mare (assez infecte !) devait y guérir les maladies de peau, exactement comme une source proche de la maladrerie de Saint Laurent.
Dans l’enthousiasme de la paix retrouvée et de Beaumont reconstruit, on refit même une beauté à Régulus


… jacquemart en bois de chêne et fer forgé, mesurant 2m14 et pesant 150 kg. construit par Charles Etienne Martin, horloger installé à Beaumont en 1796. Logé dans une guérite du clocher (XV° s.) en 1826, il frappait les quarts d’heures (avec de petits marteaux tenus dans ses mains) sur deux clochettes, et les heures (en hochant sa tête) sur la deuxième grosse cloche. Il faut savoir qu’à l’origine les cloches de Beaumont furent au nombre de 7, dont la seule qui traversa les siècles et les guerres indemne avait été nommée Lazare (ce qui était pour le moins prémonitoire, eu égard à l’histoire de l’église si souvent mutilée et toujours ressuscitée). Elle date de 1504 et ses deux actuelles compagnes (dont j’ignore les noms !) de 1807, car ses 6 compagnes d’origine avaient été descendues pour être fondues à Bernay en 1794 (l’église ayant servi d’édifice public – laïc donc – de 1791 à 1802). Du temps où, au complet, nos sept cloches sonnaient joyeusement, le bon roi Henri IV (1553-1610) vint entendre la messe. Sans doute avait-il l’oreille musicale car il déclara au curé : J’aurais moult joye à ouïr vos cloches chaque matin ; il me les faudra apporter en Paris ma grand ville. Le curé – dont hélas le nom n’est pas passé à la postérité – eut la présence d’esprit de rétorquer : Mais, Sire, il faudrait aussi vous apporter nos collines et nos échos, car sans eux il n’y aurait point si belle sonnerie. Nos cloches nous furent donc laissées. Quant à Etienne Martin, il ne devait pas non plus manquer d’humour, car s’il nomma sa créature Régulus, ce n’était pas en hommage au célèbre consul romain (dont il lui fit cependant porter l’armure) mais parce qu’il en était le … régulateur ! Toujours est-il que cet automate fut - et demeure – très populaire à Beaumont. Il eut même droit à une chanson (sur l’air du « Carillon de Dunkerque »), qu’on peut également supposer de son créateur :
Régulus je me nomme
A chaque heure je sonne
Et du matin au soir
Je fais mon devoir.
La France est ma patrie
Mon nom est d’Italie
Mon salut est romain
Mon père s’appelle Martin

Il fut restauré une première fois en 1879, par l’horloger Gourdin de Mayet, et, dans mon enfance, par la société Bodet de Trémentines. C’est de cette deuxième restauration que date la photo ci-dessus. Il fut alors promené dans le village par l’audacieux Panapio, qui l’avait descendu du clocher et orné de rubans (souvenirs qu’on pouvait obtenir, en échange de pièces de monnaie). Je me souviens encore de son passage dans la pâtisserie de mes parents car je fus sidérée par sa taille (il semblait si petit en haut du clocher !), Panapio était escorté d’enfants et ce fut un joli moment de bonheur à travers les rues. Au moment où j’écris ces lignes, Régulus est de nouveau entre les mains de restaurateurs.
Après guerre, l’indispensable retrouvé, on pensa au superflu, allant au cinéma « chez Jules » (là où s’est installé récemment le collectif d’artistes La Fabrique de la Risle ), puis dans la nouvelle salle des fêtes construite à l’emplacement du manoir de Chanteraine. Inaugurée en 1957, elle est fort laide et porte le nom du maire ayant achevé la destruction du dit manoir.
Mais on négligea le parc Parissot, et la mémoire du généreux donateur.
Oui, oui : je reviens là où j’ai commencé. J’ai abandonné le personnage en 1895 devant les niches vides du Louvre, glissant à celles du Prieuré.
En 1896 il proteste contre l’impôt progressif sur le revenu global, qui, selon lui, risque d’avoir un effet pervers :
(…) Puisque les idées simples sont en faveur aujourd’hui, je vous demande d’en émettre une très simple parce qu’elle est la constatation d’un fait impossible à nier, c’est qu’il y aura toujours dans la société des individus mieux partagés les uns que les autres et c’est la nature qui est coupable en donnant à tous des aptitudes très différentes. Faites table rase de toutes les situations acquises, au bout de très peu de temps l’inégalité reparaîtra et tout sera à recommencer. La seule vérité est celle-ci : les faibles ont besoin des forts ; laissez donc les forts debout !
La classe des malheureux, la classe des souffrants trouve encore un apaisement et un appui assurés de ceux qui ne souffrent pas ou qui souffrent moins. Il faut donc se garder de frapper les heureux parce qu’ils sont utiles à ceux qui ne le sont pas. Craignez que l’impôt qui espère atteindre dans des proportions inusitées jusqu’à ce jour ce qu’on appelle les grandes fortunes n’ait, contre votre attente, un contrecoup funeste immédiat sur les petites gens qu’on veut épargner (…)
Une commission, présidée par le maire, est nommée dans chaque commune pour connaître la fortune de chacun. La dissimulation sera punie des peines rigoureuses selon la loi (…) Malgré ces peines sévères, soyez assurés que les contribuables feront tous leurs efforts pour éviter l’impôt. Les valeurs mobilières, les valeurs au porteur pourront avec une facilité relative échapper, au moins en partie, aux lourdes charges annoncées. Mais il est une propriété qui ne peut se dissimuler : c’est la terre ! Celle-là sera toujours frappée et c’est encore à elle qu’on finira par demander davantage. Il est à prévoir que les capitaux effrayés se retireront de la terre ; par suite sa valeur diminuera dans des proportions énormes peut-être ! Je ne pense pas qu’un pareil avenir soit bien fait pour relever l’agriculture et rassurer les agriculteurs.

Il avait donc été élu sénateur en 1895. Il fut réélu en 1903, et seule la mort mit fin à sa carrière. Le journal de Beaumont publia, dès le 1er février 1911, un communiqué inquiétant :
M. Albert Parissot, notre sympathique sénateur et conseiller général, a été bien gravement malade d’une congestion pulmonaire. Aujourd’hui nous pouvons annoncer avec plaisir, que le danger est passé, mais la convalescence sera un peu longue et forcera M. Parissot à se tenir pendant quelque temps en dehors de la politique et à ne pas répondre pendant quelques semaines encore aux lettres qui lui seront adressées. Il nous prie de l’excuser auprès de ses correspondants.
Hélas, le danger n’était pas vraiment écarté puisque Parissot mourut le 6 juillet de la même année à son domicile parisien de la rue de Messine, d’où partit, le 10 juillet, le convoi funéraire, vers l’église Saint Philippe du Roule puis le cimetière du Père Lachaise. Le journal de Beaumont, qui avait annoncé la convalescence et la mort du sénateur, rapporta également tous les détails des funérailles :
Les obsèques de M. Albert Parissot, sénateur de l’Eure, ont eu lieu lundi matin à Paris, au milieu d’une affluence considérable. On y remarquait, avec la délégation règlementaire du Sénat ayant à sa tête M. Antonin Dubost, de nombreux représentants du département de l’Eure (…) Les honneurs militaires ont été rendus par des troupes d’infanterie, au domicile mortuaire, 29 rue de Messine. Au cimetière du Père Lachaise, où le corps a été conduit, un discours a été prononcé par M. Louis Passy ; en qualité de président du Conseil général de l’Eure il a adressé au défunt un adieu plein d’émotion(…) M. le sénateur Milliard a parlé ensuite (…)
L’ouverture des testaments (il y en avait 3, en dates du 15 décembre 1900, du 9 janvier 1910 et du 15 juin 1910), déposés chez maître Vingtain, notaire à Paris, eut lieu. Parissot y désignait ses cousins Georges Raimbert et son épouse Jeanne (née Bataille) pour légataires universels. Il léguait 10000 fr. à chaque commune du canton, exceptions faites de Thibouville, qui en reçut 30000, et Beaumont et Bernay chacune 60000. Tous ces legs (qui seront réalisés par la vente de mes meubles, immeubles, valeurs mobilières et dépôts divers précisait-il) devant être attribués (précisait-il encore) à des œuvres de bienfaisance. Quant à Beaumontel, elle héritait aussi du parc (à condition de l’ouvrir au public) avec la maison du gardien, ainsi que 50000 fr. pour subvenir à l’entretien du parc et les frais de gardiennage. Bref : Parissot mort continuait à être aussi généreux que Parissot vivant, qui avant tant dépensé pour des constructions ou réfections d’écoles, des casernes de gendarmerie ou de pompiers, des logements de travailleurs ou d’indigents, de lavoirs municipaux, et … j’en oublie sûrement.
Maître Vingtain écrivit ensuite au maire de Beaumont :
M. Raimbert, légataire universel de M. Parissot propose de faire la cession de tous les terrains du quartier de Vieilles servant à l’emplacement des rues axées avec le square se trouvant devant la gare, les lampadaires, bornes et autres accessoires existant sur ces terrains et square. Cette cession aurait lieu moyennant 1 franc et la charge par la ville de Beaumont de supporter tous les frais d’entretien et d’éclairage des rues et d’établissement du square à perpétuelle demeure. L’entretien des rues est assuré pour dix ans, dans une convention arrêtée entre Monsieur Parissot et Monsieur Alix, horticulteur, dont je vous remettrai une copie.
Ainsi donc, ce quartier de la gare, où des Prussiens avaient été transformés en torches pendant la guerre de 1870, devait avoir, vitam aeternam, une destination plus paisible, où on promènerait des enfants et des chiens, irait s’attabler à la terrasse de l’hôtel de la gare, prendrait des trains pour des destinations connues ou inconnues :


On y installa le buste de Parissot. Il voisinait avec une villa ayant probablement appartenu à un partisan de l’empire, car, sur la porte d’entrée, un cartouche indiquait (indique toujours même si ce n’est pas visible sur la photo ) : Villa Eugénie


Sous l’obélisque du parc de Beaumontel, le cœur du sénateur demeurait tourné vers la Risle, qu’il avait aimée à l’égal d’Aston Knight.
Les arbres poussèrent, le théâtre de verdure et le kiosque se dégradèrent, le premier connut une reconversion morbide (qui, tout éphémère qu’elle ait été marqua tant les mémoires qu’elle effaça, dans les mêmes mémoires, l’usage d’origine).
Pour tout dire : on commença d’oublier Parissot, et de négliger son parc.
Une première infidélité eut lieu à Beaumont quand on débaptisa une rue portant son nom pour la rebaptiser de celui de Jean-Charles Guillaume Leprévost de Beaumont. Certes ce personnage méritait d’être honoré (en ce moment opportun de commémoration du bicentenaire de la Révolution !) : né à Beaumont en 1726, il fit ses études de droit à Paris, où il se fixa comme secrétaire et avocat du clergé de France. En 1768, il découvrit des documents attestant l’existence d’un « pacte de famine » consistant à acheter à bas prix le blé durant les années de bonnes récoltes, pour le stocker puis le revendre plus cher les années de disette. Il dénonça la juteuse affaire au parlement de Rouen, accusant le contrôleur général des finances d’en être l’organisateur. C’était s’attaquer à des gens plus puissants que lui, et il paya son audace de… 21 ans d’emprisonnement…


…de la Bastille au donjon de Vincennes, à Charenton, Bicêtre et Bercy, d’où il entendit qu’on prenait la Bastille. Il fut libéré le 5 septembre 1789. Il termina sa vie à Bernay, en 1823, ayant heureusement eut le souci d’écrire son histoire.
Donc en 1989, les élèves du collège de Beaumont ayant planché sur ce personnage, on défila dans Beaumont, au son des « Echos de la Risle » toujours vaillants, s’en allant planter un arbre de la liberté (en l’occurrence un tilleul de … Hollande), orné d’une plaque commémorative.
Après ma rencontre fortuite avec Otto Happel et Claude Masson, je décidais, en 1990, de consacrer un court-métrage au Parc Parissot, comme j’ai indiqué plus haut. Pourquoi le cinéma plutôt que l’écriture, où j’avais déjà fait mes preuves avec plusieurs romans publiés ? Parce que le premier de mes romans venait d’être porté à l’écran, et que ma notoriété du moment (toute relative !) pouvait peut-être m’être utile pour monter ce projet. J’allais consulter des archives à la bibliothèque de Bernay, je fis passer des demandes de renseignements concernant Albert Parissot dans la presse, ce qui me permit d’établir un réseau de correspondants divers. Mais l’enthousiasme des gens sollicités pour nous apporter l’indispensable aide financière ne fut pas au rendez-vous et mon scénario rejoignit quelques autres manuscrits inédits.
Ayant cependant beaucoup évoqué ce projet autour de moi, je suscitais l’attention d’un universitaire, Yannick Marec (mon voisin d’autocar, alors que je participais à un voyage organisé par l’Association des Amis de … Flaubert et Maupassant, le 15 mai 1993 !) qui suggéra à l’une de ses étudiantes, Marie-Christine Neuville, de rédiger un mémoire sur Albert Parissot. Elle commença un patient travail de recherche dans des bibliothèques, des archives, des mairies, en 1996. Mais, abandonnant ses études, elle ne rédigea jamais ce mémoire, ayant cependant l’extrême amabilité de me remettre son lourd dossier quand elle renonça à poursuivre.
Les bâtiments du parc Parissot continuaient à se dégrader. Un trou apparut dans la toiture du kiosque. J’écrivis une lettre de protestation à la mairie de Beaumontel, rappelant leur engagement ancien auprès de Parissot. Cette lettre demeura sans écho, mais le trou fut bouché.
En 2001 la ville de Beaumont ferma un autre orifice – ou, plus exactement – renforça la fermeture d’un orifice qui n’était obturé que d’une grille facilement franchissable. Elle mura cet orifice, qui était, derrière l’ancienne mairie, à l’angle que cette mairie formait avec un commerce…


… l’entrée d’une de ces grottes où s’était réfugiée la population pendant les bombardements. Trois adolescents qui avaient coutume de descendre, par jeu, dans ce dédale obscur, s’y perdirent. La mère de l’un des imprudents prévint la gendarmerie à 21h. Branle-bas immédiat des gendarmes, des pompiers, renfort de spéléologues : la nuit passa sans que nos explorateurs cavernicoles soient retrouvés. Au matin un journaliste photographie la place où étaient stationnés tous les véhicules de secours…


… et put enfin titrer son article Les Miraculés de la grotte quand ils furent enfin retrouvés, 24 heures après leur disparition. Cette aventure n’était plus qu’un fait divers s’étant heureusement conclu. Mais il me parut, quand je l’appris, qu’il était aussi un symbole, comme un chapitre apocryphe d’un village chargé d’histoire, dont la dernière guerre connue était terminée depuis 56 ans…
En 2004, alors que je m’étais enfin familiarisée avec Internet, je découvris un site consacré à Beaumontel, qui comportait une photo ancienne du centaure, sans précision particulière sur l’origine du parc Parissot. Je contactais l’auteur de ce site, Daniel Hervé. Je le rencontrais, chez lui, à plusieurs reprises (dont l’une en compagnie d’Emmanuel Huille), car nous avions décidé de créer un site consacré à la fois au personnage et au lieu. Ce fut une belle aventure, et probablement un site nécessaire car d’autres lui ont emprunté. Et le 16 mai 2005, nous eûmes une jolie surprise, sous la forme d’un courriel de Jean-Marc Coubé, qui nous était inconnu :
Madame, Monsieur,
Paysage-conseil au Conseil général de l’Eure, je réalise depuis un an et pour le compte de la communauté de communes de Beaumont-le-Roger, une étude d’aménagement paysager du parc Parissot.
Dans ce cadre et à l’occasion de la Semaine de l’Environnement, la Communauté de communes m’a demandé de présenter, lors d’une conférence publique, le parc, ses vestiges et les pistes de réaménagement possibles.
Lors de cette intervention, je souhaiterais présenter, si vous m’y autorisez, certaines illustrations issues de votre site. En cas d’accord, il est entendu que l’origine et la nature de chaque illustration seront rappelées au moment de leur projection.
Je me permets de préciser que je ne suis pas historien et que mes interventions pour la Communauté de communes sont gratuites (ma mission est financée par le Conseil général) et ne donnent lieu à aucun acte commercial dont je puisse tirer profit : mon travail s’attache à faire prendre conscience de l’intérêt collectif à conserver et à valoriser le patrimoine architectural et paysager local.
Je regrette beaucoup de ne pas avoir eu plus tôt connaissance de votre site qui, à ce jour, m’apporte la somme la plus importante et la plus complète de renseignements de nature historique. Les informations que j’y ai puisées me permettent de reconsidérer certaines de mes propositions d’aménagement et de les faire évoluer vers une meilleure prise en compte de l’état originel du Parc.
Ainsi, quelque soit votre réponse, j’aurais plaisir à vous rencontrer et je me permets de vous inviter à cette conférence qui se tiendra le jeudi 26 mai 2005 à 18h, salle Robert Fort à Beaumont-le-Roger.
Vous remerciant par avance de votre réponse, je vous prie de vous recevoir, Madame, Monsieur, l’expression de ma considération.

Bien sûr nous nous rendîmes à cette invitation, découvrant le projet de réhabilitation du kiosque, de l’obélisque, et du théâtre de verdure (qu’on persistait à nommer « l’ancien cimetière allemand » à notre grand regret !), par Jean-Marc Coubé, qui prévoyait une restitution « à l’identique ». Un autre intervenant, Alain Le Belleguy, de l’Office national des Forêts, révéla toute la diversité du parc, si riche d’espèces végétales feuillues et résineuses, que les promeneurs pourraient reconnaître grâce à des bornes d’identification, sur un sentier pédagogique, et un grand panneau thématique. Tous ces beaux projets avaient un coût, et seraient donc effectués par étapes, la première (prévue l’année en cours : 2005) consistant en un parking à l’entrée du parc ainsi que le fléchage des lieux et arbres. La deuxième tranche concernerait l’aménagement paysager et la réfection du kiosque (2006), la troisième (non datée) s’intéresserait au « cimetière allemand » et à l’obélisque. Une brochure concernant le parc était également prévue, ainsi que des animations ponctuelles au sein même du parc, en direction du public scolaire et du grand public.
L’office de tourisme de Beaumont m’invita ensuite à quelques réunions, me demanda la permission d’emprunter la photo du cimetière allemand de notre site et me proposa de rédiger quelques textes concernant Parissot et son Parc. Je fis tout ce qu’on voulait, sans résultats vraiment probants, car le fléchage prévu du théâtre de verdure signala seulement qu’il s’agissait de l’ancien cimetière des valeureux aviateurs allemands et, pour l’obélisque, que cette stèle renfermerait le cœur et une main de Parissot. J’ignore qui a malencontreusement « complété » les informations que j’avais données, tout comme j’ignore quelle main a ensuite raturé au feutre noir valeureux ainsi que et une main mais je ne saurais désapprouver car si la main relève d’une erreur, le valeureux appliqué aux troupes d’occupation me paraît signer une nostalgie pour le moins ambigüe. Encore une fois je le redis : il n’y a plus aucune trace de ce cimetière, et les pans de murs qui achèvent de s’écrouler sont une construction due à Parissot.
Le kiosque eut finalement une nouvelle toiture (en 2009 et non pas 2006)…



.....

… que nous signala (sur notre livre d’or) Maxime Depierre, qui nous avait déjà précédemment félicités pour notre site.
Nous eûmes aussi un très intéressant échange de courriels avec Pavie Martelière, descendante d’ Elisabeth Parissot (sœur du fondateur de la belle Jardinière) et Tina Couybes, toutes deux évoquant la branche Parissot enterrée au Pecq. Nous fûmes même invités…




… ne pouvant hélas nous rendre à cette invitation. Et pour clore cette année 2009, j’eus également un courriel de Patrick Douais : (…) il m’a été donné de voir et photographier une pierre blanche d’environ un mètre de long et trente centimètres de large. Cette pierre est gravée d’un texte en latin sur quatre lignes et en partie effacé, tiré des Odes d’Horace :
Quo pinus ingens albaque populus
Umbram hospitalem consociare amant
Ramis. Quid obliquo laborat
Lympa fugax trepidare riuo

La raison de ce message à votre attention réside dans le lieu de sa découverte, qui est à proximité du parc Chantereine de Beaumont-le-Roger. Cette zone ayant semble-t-il été utilisée après la guerre comme aire de dépôts de démolition après les bombardements. L’idée saugrenue qui m’a traversé l’esprit est que cette pierre aurait pu orner un mur du parc Chantereine. Puisque dans vos souvenirs d’enfance vous dites avoir parcouru ce parc en ruine et abandonné, vous pourriez avoir le souvenir de cet ornement. J’ai déjà eu l’occasion de contacter m. Patrick R. Knight sur ce sujet mais il n’en a malheureusement pas le souvenir (…)
Il joignait évidemment la photo de la pierre :


Je ne sus hélas le renseigner. Mais il eut ensuite la gentillesse de m’envoyer un exemplaire du n° 135 de la revue « Monuments et Sites de l’Eure », où il publia un article sur sa découverte. Pour les curieux, je rappelle qu’Horace, de son vrai nom Quintus Horatius Flaccus (- 65 av. J.C. – 8 av. J.C.), ami de Virgile et de Mécène, est l’auteur du fameux conseil Carpe diem (cueille le jour présent), qui est en quelque sorte le thème de son ode à Q. Dellius, dont sont tirées ces lignes gravées dans la pierre. Les traductions qui en ont été proposées au fil des siècles sont multiples. En voici une, qui n’est peut-être pas la meilleure, mais celle qui me satisfait le mieux : En ce lieu où un grand pin et un peuplier blanc aiment à mêler l’ombre hospitalière de leurs ramures, là où une onde pressée de bondir contre les détours de sa rive. Ces lignes semblaient en effet s’appliquer au jardin d’Aston Knight, mais pouvaient aussi concerner le jardin originel du manoir et tous les heureux ayant possédé ce domaine, depuis Raoul et Avicie (probablement familiers du latin d’Horace) car l’ode se terminait par : il te faudra quitter ces beaux parcs, ce palais et cette villa que baigne l’or du Tibre
Je devais encore une fois être contactée au sujet du domaine d’Aston Knight, par m. et mme Patrick Bourgeois , supposant également que j’en savais plus qu’eux sur ce peintre (qui suscita un regain d’intérêt en 2013, pendant la manifestation nationale Normandie Impressionniste, grâce à l’artiste contemporain Alain Fleischer). Comme j’avais connu ce couple du temps où mes parents et moi vivions à Beaumont, je me déplaçais pour les revoir. Nous avons passé un très agréable moment dans leur maison de Beaumontel. Mais ce sont eux qui me fournirent une photocopie de l’article d’Albert Maumené
Il ressort de tous ces courriers, conversations téléphoniques, rencontres, une volonté de mémoire de ce qu’il faut bien appeler la grandeur de Beaumont. Puisse ce site en être fédérateur. Puisse le Parc Parissot retrouver quelque splendeur. Puissent les ruines du Prieuré ne pas achever de mourir derrière leurs grilles sécuritaires, qui protègent les visiteurs des chutes de pierres, mais rendent dorénavant tous travaux impossibles, pas même le simple arrachage de la végétation, cet ennemi sournois des architectures. Pourquoi donc la société « Opération S.O.S Abbaye », créée en 1971 afin de sauver ces ruines, et qui a œuvré en 1972 et 1973…

.....

… sous la conduite de Gabriel Gendreau, ne renaîtrait-elle pas de ses cendres ? D’autant qu’il fut encore, au début de l’année 1982, question de sauvetage, la presse régionale titrant impérativement ce long article :
Il faut sauver les restes de l’église du prieuré de Beaumont-le-Roger


Les visites d’experts et les vérifications continuèrent à être suivies de près :

.....

Je condense ces divers articles :
Sous l’effet du dégel, les murs de l’église de l’ancien prieuré de Beaumont-le-Roger se sont dangereusement fissurés. Ainsi se poursuit la dégradation lente d’un site magnifique, qui relevait de l’abbaye du Bec-Hellouin. Vers 1848, ainsi que le montrent les dessins des frères Laumônier, faisant partie de la collection de Raymond Bordeaux, retrouvée par p m.. Jardilier, président de la société libre de l’Eure à la Bibliothèque nationale, c’était encore une église qui méritait amplement d’être sauvée. Mais la municipalité de Beaumont en refusa toujours l’acquisition. Ces ruines imposantes, avec des murs de quinze mètres de haut sont classées monument historique. Elles appartiennent à l’Etat qui se doit d’en assurer la conservation, d’autant plus qu’elles constituent un des plus jolis sites de la vallée de la Risle (…)
*

Nouvelles visites, cette semaine, d’experts venus constater les dégâts causés par le gel et le dégel à ces vieilles pierres âgées de neuf siècles. Un éminent spécialiste, m. Nicot, architecte en chef des monuments historiques, accompagné de m. Gendreau, architecte départemental des Bâtiments de France et m. Coudrette, directeur de l’entreprise Lanctuit, après concertation avec le maire, ont mis au point un plan pour consolider ces ruines, joyau culturel de la ville ; Dans un premier temps, des témoins ont été mis en place ; ils sont intacts. S’ils ne bougent pas, dans quelques jours des travaux de terrassement seront entrepris (
…)

*
(…) Une forte poussée était constatée depuis la terrasse vers la ville, mais le couloir monumental qui mène à la terrasse a également souffert. Des pierres se sont détachées, des fissures importantes se sont formées. L’imposant mur de contrefort qui domine la rue de l’abbaye s’est déplacé de 2 à 5 cm. par endroits. Des témoins ont été mis en place. Le lendemain ils étaient rompus (…)
La circulation fut un moment détournée, le site fermé au public. On consolida ce qui devait l’être, et pour diminuer la poussée de la terrasse contre les murs, on ôta de la terre, à l’angle de cette terrasse. Dans ce trou de 4 m. la végétation a allègrement poussé depuis, au point qu’il n’était plus visible et donc d’autant plus dangereux. D’où ces grilles posées partout, pour la sécurité des visiteurs. Mais je m’étonne que les services des espaces verts de la ville, si attentifs au Parc Chanteraine n’aient jamais reçu l’ordre – pendant qu’il était encore temps – d’arracher cette végétation intempestive. Et si la sécurité des visiteurs cachait une autre raison, inavouable : vouer ces ruines à une mort certaine ?
L’humanité têtue de Beaumont est pourtant présente en ce lieu de très longue date puisqu’on retrouva, dans sa forêt (dont le nom d’origine était Utica ou Occa, qui devint Ouche, désignant toute une région encore nommée ainsi), des vestiges d’époque gallo-romaine : camps romains, dont l’un à Grosley, qui possède une charmante église en pierres et silex…


… construction si caractéristique de cette partie de la Normandie, qu’elle était également celle du rez-de-chaussée de ma maison natale …


… laquelle fut épargnée des graffiti visibles sur les murs extérieurs de l’église de Grosley…


… où se mêlent si joyeusement les époques puisqu’elle possède un autel baroque :


En 1830, on trouva, toujours en forêt, un trésor de 400 médailles (ou monnaies ?) du 3° siècle (qu’on peut admirer au musée d’Evreux, dans la salle en sous-sol, superbement appuyée sur le rempart gallo-romaine).
En 1991, un passionné d’archéologie fouillant son terrain du Bourg-Dessus, y découvrit des poteries médiévales, près de l’emplacement où avait été édifiée l’Eglise Saint-Léonard. Il eut lui aussi les honneurs de la presse :


Parfois, là où il n’y a plus de vestiges, la toponymie parle encore des temps anciens, car une rue du Bourg-dessus, qui longeait une ancienne maladrerie médiévale est restée nommée « rue de l’hôpital », et le Val Gallerand , qui ne présente plus aujourd’hui pour curiosité touristique qu’un bâtiment édifié par m. Thomerret dans les années 30, à partir de matériaux provenant de la démolition du Moulin-Chapelle et autres manoirs (ou, prétend une autre version : de l’ancienne gare de Deauville)…

.....

… garde la mémoire de son très ancien propriétaire : Galeran IV, comte de Meulan et de Worcester, petit-fils de Roger de Beaumont.
Mémoire, tout est là…
La mienne se voudrait fédératrice de bonnes volontés, au service de Beaumont.
On peut me joindre par courriel : simarese@wanadoo.fr ou par téléphone : 02 35 75 35 76
Je ne terminerai pas sans remercier toux ceux grâce auxquels j’ai pu rédiger ce long récit, qu’il s’agisse des personnes rencontrées, m’ayant accueillie, m’ayant fourni des renseignements oraux, des documents, des photos. Leurs noms figurent dans ce récit (tout comme ceux de mes 2 web-master successifs), je ne les répèterai donc pas ici. Mais je dois remercier également ceux qui, ajoutant leurs photos aux miennes, ont complété l’iconographie de ce récit : Daniel Hervé, Michel Margas, Michel Vandichèle.
Je signale mes trois autres sites (créés en 2007, 2008, 2009) :
Ecrire c’est vivre multiple (simarese.pagesperso-orange.fr) qui propose, en différentes rubriques, la totalité de mes textes courts (environ 200), publiés ou inédits, ainsi qu’une actualité culturelle régulièrement mise à jour.
Passage du temps (passagedutemps.fr ), sorte de biographie familiale composée à partir de photos.
Un écrivain face à la critique (simone.arese.free.fr), somme de toutes les critiques concernant mon œuvre littéraire.
Je signale également le site de Daniel Hervé consacré à Beaumontel : beaumontel.free.fr
Et enfin celui, scientifique et artistique de Michel Hubin (qui gère, en plus des miens, une dizaine d’autres sites !) : Electron mon amour (http://electronmonamour.free.fr/)